😍LittĂ©rature adulte : nos derniĂšres lectures…

Le philosophe SĂ©nĂšque fut le prĂ©cepteur de NĂ©ron, empereur romain tristement cĂ©lĂšbre. Dans cet ouvrage brillant, Marianne JaeglĂ© imagine leur relation Ă  rebours. Nous y adoptons le point de vue de SĂ©nĂšque qui s’exprime Ă  la premiĂšre personne. Le livre dĂ©bute alors que le philosophe vieillissant s’est retirĂ© de la vie politique. Un dĂ©tachement de soldats se prĂ©sente Ă  sa villa de campagne, avec pour mission de lui donner la mort. L’ordre Ă©mane de NĂ©ron lui-mĂȘme. Pendant les quelques heures qui lui restent Ă  vivre, SĂ©nĂšque va remonter le temps par le biais d’une lettre adressĂ©e Ă  l’un de ses amis, pour nous permettre de comprendre comment on en est arrivĂ© lĂ . Comment on est passĂ© du trouble de se voir confier l’éducation du futur empereur Ă  un attachement filial, puis de la poursuite d’un idĂ©al politique Ă  l’aveuglement.
D’une grande accessibilitĂ©, le rĂ©cit alterne entre anecdotes et sentiment de culpabilitĂ© du narrateur, crĂ©ant une tension absolument prenante. Il interroge aussi sur la responsabilitĂ© de chacun face Ă  l’installation progressive de la dictature, Ă  une Ă©poque oĂč l’on en voit de plus en plus


Notre note : ★★★★★


Dans le village marocain d’Inzerki, tout tourne autour du rucher du Saint. Le climat y est de plus en plus rude, l’eau de plus en plus rare. Les abeilles en souffrent autant que les habitants. Cela n’empĂȘche pas le vieux Jeddi d’ĂȘtre profondĂ©ment attachĂ© Ă  cette terre et Ă  ses traditions. À l’inverse de son fils Omar qui est parti tenter sa chance Ă  Agadir. Et qui a laissĂ© femme et enfant aux soins de son vieux pĂšre. L’enfant, c’est Anir. Jeddi lui transmet l’attachement au village, au rucher,  aux traditions. La femme, c’est AĂŻcha. Elle a perdu la raison depuis une nuit dramatique narrĂ©e dĂšs l’ouverture du roman, mais qui ne rĂ©vĂšlera son mystĂšre que bien plus tard

Bien qu’évoquant des lieux rĂ©els, le livre de Zineb Mekouar possĂšde la magie et la beautĂ© formelle du conte. En plus des secrets de famille, il Ă©voque les menaces pesant sur le monde rural et sur le mode de vie y Ă©tant attachĂ©. On y tombe parfois dans le mĂ©lodrame, c’est dommage. À l’image de cette rĂ©pĂ©tition systĂ©matique du « do-do-da, grave-grave-aigu », mĂ©lodie lancinante fredonnĂ©e en boucle par la pauvre AĂŻcha.

Notre note : ★★★☆☆


Une Ăźle, quelque part dans la MĂ©diterranĂ©e. Ce pourrait ĂȘtre au large des cĂŽtes espagnoles, italiennes ou grecques. En tout cas, c’est une MĂ©diterranĂ©e universelle et fantasmĂ©e, avec son folklore et ses croyances. L’époque n’est pas vraiment dĂ©finie non plus. Elle est suffisamment rĂ©cente pour qu’on y parle de bouleversements climatiques et d’espĂšces menacĂ©es. En l’occurrence, les grandes nacres. Dans cette Ăźle non identifiĂ©e, les femmes ont un lien particulier avec ces coquillages. Elles plongent pour rĂ©colter leur byssus afin de le tisser. Cela commence avec la Pittifatta, charismatique matrone qui impose cet hĂ©ritage Ă  sa petite-fille Efisia, qui, Ă  son tour, dĂ©sespĂšre de le transmettre Ă  sa fille Anna et finit par le dĂ©poser sur les Ă©paules de sa petite-fille Rosalia, laquelle va finalement le transformer afin de relever les nouveaux dĂ©fis Ă©cologiques.
Bref, on l’aura compris, une magnifique histoire de femmes et de mer qui s’inspire d’une pratique authentique. Car oui, le tissage du byssus, la soie marine, n’est pas une invention fabuleuse ! Les Romains le pratiquaient dĂ©jĂ . Son Ă©vocation contribue Ă  confĂ©rer au livre une atmosphĂšre intemporelle et magique, servie par des personnages fĂ©minins inoubliables.

Notre note : ★★★★★


Mieczyslaw Wojnicz est un jeune polonais, fragile des poumons. Au dĂ©but des annĂ©es 1910, il sĂ©journe dans une pension pour messieurs de la station thermale de Göbensdorf. Il y fait la connaissance d’autres pensionnaires d’origines diverses, plus ou moins malades et plus ou moins misogynes comme en tĂ©moignent leurs interminables discussions au moment des dĂźners arrosĂ©s de liqueur locale. Chacun y va de sa thĂ©orie scientifique ou religieuse, Ă  grands renforts d’auteurs et de citations, pour justifier son mĂ©pris envers les femmes. D’ailleurs les femmes sont peu reprĂ©sentĂ©es : une Ă©pouse dĂ©cĂ©dĂ©e, le souvenir d’une nourrice, une apparition chapeautĂ©e
 et surtout, les mystĂ©rieuses Empouses, crĂ©atures mythologiques qui sont les narratrices de l’histoire.
Il ne se passe pas grand-chose dans ce livre lent et docte, hormis de vagues morts suspectes, un phĂ©nomĂšne surnaturel convenu, et la particularitĂ© physique du hĂ©ros tout aussi prĂ©visible. Pour autant, le roman n’est pas exempt de qualitĂ©s. Il offre une ambiance singuliĂšre, des descriptions en mouvement originales, et une vision fĂ©ministe trĂšs efficace parce que saisissant dans son jus le machisme intellectuel d’une Ă©poque, moins rĂ©volue que ce qu’on pourrait croire…

Notre note : ★★☆☆☆


On a tellement aimĂ© le nouveau roman de Cyril Gely, Le dernier thĂ© de maĂźtre Soho, qu’on s’est prĂ©cipitĂ© sur le prĂ©cĂ©dent, La forĂȘt aux violons. Bien nous en prit ! Car on s’est encore plus rĂ©galĂ© avec celui-ci.
Cette fois, c’est au 17e siĂšcle italien que nous entraĂźne l’auteur, sur les traces du cĂ©lĂšbre luthier Antonio Stradivari. Comme on ne connaĂźt quasiment rien sur ses dĂ©buts, Gely a dĂ» lui inventer un parcours en y mettant sa touche personnelle faite d’apprentissage de la vie, de poursuite d’idĂ©al et de dĂ©licates relations humaines, dans un style poĂ©tique et prĂ©cis. Il imagine qu’à vingt-deux ans, Antonio est renvoyĂ© de l’atelier de maĂźtre Amati oĂč l’avait placĂ© sa mĂšre alors qu’il n’était qu’un enfant. Officiellement, MaĂźtre Amati ne supporte plus la manie qu’a Antonio de briser par insatisfaction les violons qu’il fabrique. Mais ne serait-ce pas plutĂŽt parce qu’il a dĂ©celĂ© le potentiel hors-norme de son Ă©lĂšve et qu’il veut le pousser Ă  embrasser son destin ? Car Ă  partir de ce renvoi, Antonio va se lancer dans une quĂȘte de perfection qui le conduira dans la forĂȘt de Paneveggio, Ă  la recherche du bois idĂ©al pour ses futures crĂ©ations. Il mettra longtemps avant de rĂ©aliser le violon qui le fera passer Ă  la postĂ©ritĂ©, sous l’influence des trois femmes de sa vie…

Notre note : ★★★★â˜