Roman historique français :
L’ami du prince de Marianne JaeglĂ©
Le philosophe SĂ©nĂšque fut le prĂ©cepteur de NĂ©ron, empereur romain tristement cĂ©lĂšbre. Dans cet ouvrage brillant, Marianne JaeglĂ© imagine leur relation Ă rebours. Nous y adoptons le point de vue de SĂ©nĂšque qui sâexprime Ă la premiĂšre personne. Le livre dĂ©bute alors que le philosophe vieillissant sâest retirĂ© de la vie politique. Un dĂ©tachement de soldats se prĂ©sente Ă sa villa de campagne, avec pour mission de lui donner la mort. Lâordre Ă©mane de NĂ©ron lui-mĂȘme. Pendant les quelques heures qui lui restent Ă vivre, SĂ©nĂšque va remonter le temps par le biais dâune lettre adressĂ©e Ă lâun de ses amis, pour nous permettre de comprendre comment on en est arrivĂ© lĂ . Comment on est passĂ© du trouble de se voir confier lâĂ©ducation du futur empereur Ă un attachement filial, puis de la poursuite dâun idĂ©al politique Ă lâaveuglement.
Dâune grande accessibilitĂ©, le rĂ©cit alterne entre anecdotes et sentiment de culpabilitĂ© du narrateur, crĂ©ant une tension absolument prenante. Il interroge aussi sur la responsabilitĂ© de chacun face Ă l’installation progressive de la dictature, Ă une Ă©poque oĂč l’on en voit de plus en plusâŠ
Notre note : â â â â â
Roman français :
Souviens-toi des abeilles de Zineb Mekouar
Dans le village marocain dâInzerki, tout tourne autour du rucher du Saint. Le climat y est de plus en plus rude, lâeau de plus en plus rare. Les abeilles en souffrent autant que les habitants. Cela nâempĂȘche pas le vieux Jeddi dâĂȘtre profondĂ©ment attachĂ© Ă cette terre et Ă ses traditions. Ă lâinverse de son fils Omar qui est parti tenter sa chance Ă Agadir. Et qui a laissĂ© femme et enfant aux soins de son vieux pĂšre. Lâenfant, câest Anir. Jeddi lui transmet lâattachement au village, au rucher, aux traditions. La femme, câest AĂŻcha. Elle a perdu la raison depuis une nuit dramatique narrĂ©e dĂšs l’ouverture du roman, mais qui ne rĂ©vĂšlera son mystĂšre que bien plus tardâŠ
Bien quâĂ©voquant des lieux rĂ©els, le livre de Zineb Mekouar possĂšde la magie et la beautĂ© formelle du conte. En plus des secrets de famille, il Ă©voque les menaces pesant sur le monde rural et sur le mode de vie y Ă©tant attachĂ©. On y tombe parfois dans le mĂ©lodrame, câest dommage. Ă lâimage de cette rĂ©pĂ©tition systĂ©matique du « do-do-da, grave-grave-aigu », mĂ©lodie lancinante fredonnĂ©e en boucle par la pauvre AĂŻcha.
Notre note : â â â ââ
Roman français :
Les grandes nacres de Catherine Baldisserri
Une Ăźle, quelque part dans la MĂ©diterranĂ©e. Ce pourrait ĂȘtre au large des cĂŽtes espagnoles, italiennes ou grecques. En tout cas, câest une MĂ©diterranĂ©e universelle et fantasmĂ©e, avec son folklore et ses croyances. LâĂ©poque nâest pas vraiment dĂ©finie non plus. Elle est suffisamment rĂ©cente pour quâon y parle de bouleversements climatiques et dâespĂšces menacĂ©es. En lâoccurrence, les grandes nacres. Dans cette Ăźle non identifiĂ©e, les femmes ont un lien particulier avec ces coquillages. Elles plongent pour rĂ©colter leur byssus afin de le tisser. Cela commence avec la Pittifatta, charismatique matrone qui impose cet hĂ©ritage Ă sa petite-fille Efisia, qui, Ă son tour, dĂ©sespĂšre de le transmettre Ă sa fille Anna et finit par le dĂ©poser sur les Ă©paules de sa petite-fille Rosalia, laquelle va finalement le transformer afin de relever les nouveaux dĂ©fis Ă©cologiques.
Bref, on lâaura compris, une magnifique histoire de femmes et de mer qui sâinspire dâune pratique authentique. Car oui, le tissage du byssus, la soie marine, nâest pas une invention fabuleuse ! Les Romains le pratiquaient dĂ©jĂ . Son Ă©vocation contribue Ă confĂ©rer au livre une atmosphĂšre intemporelle et magique, servie par des personnages fĂ©minins inoubliables.
Notre note : â â â â â
Roman polonais :
Le banquet des Empouses d’Olga Tokarczuk
Mieczyslaw Wojnicz est un jeune polonais, fragile des poumons. Au dĂ©but des annĂ©es 1910, il sĂ©journe dans une pension pour messieurs de la station thermale de Göbensdorf. Il y fait la connaissance dâautres pensionnaires dâorigines diverses, plus ou moins malades et plus ou moins misogynes comme en tĂ©moignent leurs interminables discussions au moment des dĂźners arrosĂ©s de liqueur locale. Chacun y va de sa thĂ©orie scientifique ou religieuse, Ă grands renforts dâauteurs et de citations, pour justifier son mĂ©pris envers les femmes. Dâailleurs les femmes sont peu reprĂ©sentĂ©es : une Ă©pouse dĂ©cĂ©dĂ©e, le souvenir dâune nourrice, une apparition chapeautĂ©e⊠et surtout, les mystĂ©rieuses Empouses, crĂ©atures mythologiques qui sont les narratrices de lâhistoire.
Il ne se passe pas grand-chose dans ce livre lent et docte, hormis de vagues morts suspectes, un phĂ©nomĂšne surnaturel convenu, et la particularitĂ© physique du hĂ©ros tout aussi prĂ©visible. Pour autant, le roman n’est pas exempt de qualitĂ©s. Il offre une ambiance singuliĂšre, des descriptions en mouvement originales, et une vision fĂ©ministe trĂšs efficace parce que saisissant dans son jus le machisme intellectuel d’une Ă©poque, moins rĂ©volue que ce qu’on pourrait croire…
Notre note : â â âââ
Roman historique français :
La forĂȘt aux violons de Cyril Gely
On a tellement aimĂ© le nouveau roman de Cyril Gely, Le dernier thĂ© de maĂźtre Soho, quâon sâest prĂ©cipitĂ© sur le prĂ©cĂ©dent, La forĂȘt aux violons. Bien nous en prit ! Car on sâest encore plus rĂ©galĂ© avec celui-ci.
Cette fois, câest au 17e siĂšcle italien que nous entraĂźne lâauteur, sur les traces du cĂ©lĂšbre luthier Antonio Stradivari. Comme on ne connaĂźt quasiment rien sur ses dĂ©buts, Gely a dĂ» lui inventer un parcours en y mettant sa touche personnelle faite dâapprentissage de la vie, de poursuite dâidĂ©al et de dĂ©licates relations humaines, dans un style poĂ©tique et prĂ©cis. Il imagine quâĂ vingt-deux ans, Antonio est renvoyĂ© de lâatelier de maĂźtre Amati oĂč lâavait placĂ© sa mĂšre alors qu’il nâĂ©tait quâun enfant. Officiellement, MaĂźtre Amati ne supporte plus la manie qu’a Antonio de briser par insatisfaction les violons quâil fabrique. Mais ne serait-ce pas plutĂŽt parce quâil a dĂ©celĂ© le potentiel hors-norme de son Ă©lĂšve et quâil veut le pousser Ă embrasser son destin ? Car Ă partir de ce renvoi, Antonio va se lancer dans une quĂȘte de perfection qui le conduira dans la forĂȘt de Paneveggio, Ă la recherche du bois idĂ©al pour ses futures crĂ©ations. Il mettra longtemps avant de rĂ©aliser le violon qui le fera passer Ă la postĂ©ritĂ©, sous l’influence des trois femmes de sa vie…
Notre note : â â â â â