ÉTAPE 6 : LES PLATANES ENSEVELIS DE LA DIGUE DU LEZ
Ces arbres sont déjà remarquables par leur âge : ils sont plus que centenaires. Leur principale particularité se trouve dans leur histoire, qui leur vaut leur silhouette peu commune : leur tronc a été enseveli lors de la construction de la digue du Lez. Les platanes non ensevelis, le long de l’École de Musique, témoignent de cet historique. Avec une hauteur et une forme comparables, ils ont vraisemblablement le même âge.
De nos platanes ensevelis, seule la fourche du tronc dépasse, ce qui explique cette forme ramifiée dès la base. Cela leur donne une circonférence spectaculaire de 8 mètres au sortir du sol. Les arbres ont survécu, ce qui est une performance extraordinaire. Et ce d’autant plus qu’ils étaient déjà âgés à l’époque de la construction de la digue.
Ils n’ont pas pour autant apprécié le traitement : les troncs se sont creusés et quelques branches charpentières ont dépéri. Leur croissance aussi a été ralentie : ils ont une hauteur comparable à celle de leurs frères non ensevelis, alors que ces derniers ont subi une taille en hauteur que les autres n’ont pas reçu.
Les platanes non ensevelis, supposés jumeaux des platanes de la digue, ont une circonférence de tronc entre 3,30 m et 3,60 m, à 1,30 m du sol : une taille plus que respectable qui leur permet d’être comptabilisés parmi les plus gros platanes de Lattes.
Finalement, ces arbres nous donnent deux belles leçons.
D’abord, et une fois de plus, qu’ils sont capables de résister à des épreuves particulièrement improbables.
Ensuite, et surtout, que les digues sont une conséquence de l’urbanisation qui aurait pu causer de nouveaux dégâts dans la population végétale, si les platanes avaient été abattus comme tant d’autres. En les conservant par ensevelissement, le choix a été fait de tenter de marier préservation de l’environnement et urbanisation. Le résultat aujourd’hui est la présence de ces magnifiques spécimens, lesquels nous remercient de ce choix, tout en nous confirmant qu’un tel mariage est possible !
> Petite histoire de la digue du Lez
Comme on peut le voir sur une ancienne photo, la digue n’a pas toujours été là. On constate également que la tour qui jouxte les platanes était le départ d’un pont privé, propriété de la famille Biquet. Cette famille a donné son nom au boulodrome à côté du théâtre Jacques Cœur.
La création de la digue du Lez a été initiée suite à la grosse crue de 1976. Autrefois, on appelait ce type de crues des « lézades » dans un jargon bien local que nous ne vous feront pas l’affront de traduire ! La digue a vu le jour aux termes des travaux, soit à la fin des années soixante dix. La question de supprimer ou non les platanes voisins a été posée à un spécialiste qui a suggéré de les conserver. C’est donc depuis une cinquantaine d’années qu’ils ont le tronc enterré. L’avenir a donné raison à l’avis éclairé de ce spécialiste. Il n’était pourtant pas évident de garantir que ces arbres allaient survivre à un traitement aussi sévère. Bien des espèces ne l’auraient pas supporté.
En 2008, la digue a subi des travaux de renforcement, lesquels furent complétés par la création du chenal de la Lironde qui soulage le Lez d’un surplus d’eau lors des fameuses « lézades ».
Outre son rôle préventif contre les risques d’inondation, la digue remplit aujourd’hui une autre fonction, tout aussi appréciée que la première : celle de lieu de promenade favori des dimanches et jours fériés !
Et justement ! Peut être vous étonnerez-vous, qu’il n’y ait pas d’arbres plantés tout du long, pour offrir une ombre bienvenue lors des chaudes journées d’été ? La raison en est simple : c’est interdit par la loi. Pourquoi ? Par crainte qu’ils n’endommagent la digue. Ceci est un cas typique où l’arbre est perçu comme un danger, à un endroit où il a la qualité reconnue de précieux allié.
Une fois de plus, faisons-nous les avocats des arbres. À l’origine de cette peur, il y a probablement la tendance qu’on les arbres à fissurer les murs de clôture dont les procédés de construction bannissent toute possibilité de flexibilité. Une digue de terre, même renforcée de chaux comme c’est le cas chez nous, a et doit avoir la possibilité de s’adapter aux inévitables mouvements de sol sans se fissurer. Autrement dit, une digue ne devrait pas avoir à craindre d’être endommagée par des racines d’arbres. Plus officiellement, il est craint que les troncs créent des tourbillons capables de creuser les digues.
Il suffit pourtant de remonter le cours du Lez sur quelques kilomètres, à la hauteur du zoo du Lunaret, pour voir un superbe spectacle de racines tapissant le sol. Les platanes, auteurs de ce maillage, ont des dimensions semblables à celles de nos rescapés Lattois. Ils sont donc probablement installés depuis plus de cent ans dans le lit du fleuve. Les racines superficielles ont été déchaussées par de multiples crues. Le tapis ainsi créé protège les racines plus profondément ancrées. Elles renforcent les berges à la manière d’un ferraillage dans le béton. Les tourbillons peuvent tourbillonner, les racines veillent à ne pas les laisser pénétrer ! Et si les arbres génèrent des risques de tourbillons, cet inconvénient est contrebalancé par une autre de leur qualité : les arbres ralentissent le flux d’eau près des bords, atténuant, au final, les velléités de l’eau lors des crues.
Bref, la végétation en général est une alliée des berges, utilisée dans bien des endroits sous l’appellation évocatrice de « génie végétal ».
Et ce n’est pas tout ! Les racines des arbres, qui naturellement vont dans l’eau, y apportent une oxygène qui profite à la vie du cours d’eau. Elles y captent des nutriments, contribuant ainsi à sa dépollution.
Toutes ces propriétés sont bien connues des forestiers, qui préservent particulièrement les « ripisylves », ces bandes boisées longeant les rivières.
> En guise de conclusion
Difficile d’évoquer le lien entre crues fluviales et végétation, sans parler d’une anecdote pour le moins spectaculaire ! Dans l’état du Meghalaya, au nord de l’Inde, il tombe 50 mètres d’eau par an, soit 80 fois plus que chez nous, ou encore 4 fois plus que sur la forêt amazonienne !
Les infrastructures classiques ne résistent pas aux torrents engendrés par la mousson et les villageois ont depuis longtemps trouvé la parade : ils construisent des ponts en tressant les racines d’hévéas, sans les couper. Le pont sur la photo ci-dessous a un âge estimé à 200 ans.
Alors, pour nos digues, les arbres sont comment : dangereux ou précieux ?
Texte et photographies : Philippe Crassous
Excepté photographie du pont tressé : Prasenjeet Yadav
Source : National Geographic