ÉTAPE 4 : LA VILLE AUX CENT PLATANES CENTENAIRES
Parmi les vieux arbres de Lattes, le platane est de loin le plus représenté. Certains se singularisent spectaculairement par leur forme et leur historique, comme ceux de Saint Sauveur ou encore ceux de la digue du Lez. Les autres, des centenaires qui nous sembleraient presque ordinaires, ne sont pourtant pas avares en histoires : certaines étant écrites, à leur façon, sur leurs branches, d’autres provenant de documents anciens.
Le premier document à nous éclairer sur cet insoupçonné gisement est une photo aérienne étonnamment ancienne puisqu’elle date de 1926 (disponible sur le site de l’IGN). Le 30 juin exactement, ce qui fait que les arbres y ont leurs feuilles et sont bien repérables.
Difficile de reconnaître notre ville d’aujourd’hui dans ce paysage de champs agricoles, n’empêche que les arbres qui y sont repérables et qui sont encore là aujourd’hui sont sans conteste plus que centenaires. Au final, il sont environ 140 à avoir pu être recensés grâce à cette photo.
La photo satellite d’aujourd’hui montre bien des changements ! Seuls quelques arbres, les vieilles bâtisses et le tracé des routes restent des témoins de cette époque révolue.
Et en recommençant le « jeu de piste » plus en détail pour le centre ville, ce sont une quinzaine de platanes anciens que l’on identifie.
Mais pourquoi diable y avait-il autant de platanes à l’époque ? La raison pourrait bien être utilitaire.
Bien adapté à notre climat, avec une croissance rapide et supportant bien la taille, ses branches lui étaient prélevées périodiquement, c’est à dire dès qu’elles avaient la bonne dimension pour faire du bois de chauffage. Les arbres étaient taillés toujours à la même hauteur, ce qui donnait des troncs massifs surmontés d’une fourche trapue, cette taille est dite en trogne ou en têtard. Ce n’est pas l’allure naturelle d’un platane, qui est plutôt un arbre à la silhouette élancée. Comme le bois de chauffage a été progressivement abandonné au profit d’énergies plus « faciles », ces trognes ont été laissés à eux-mêmes. Ce sont donc des branches naturellement élancées qui ont poussé sur des troncs massifs, donnant à une bonne centaine de platanes lattois une silhouette caractéristique qui porte une page de l’Histoire.
Cette histoire inspire deux remarques. La première est qu’aujourd’hui l’industrie à su mettre le bois au diapason des énergies « faciles » en le déchiquetant en « plaquettes » ou encore en le compressant en granulés également appelés « pellets ». Pour le bois, cela ouvre la porte à notre consommation dantesque d’énergie, et ça ce n’est pas bon, mais alors pas bon du tout, vis-à-vis de nos forêts !
La deuxième est que cette taille en trogne qui avait surtout un but utilitaire perdure souvent malgré tout aujourd’hui, et ce pour des raisons mystérieuses.
Cette taille n’est pas anodine pour l’arbre, elle génère des arbres au tronc creux qui sont fragilisés voire qui dépérissent, alors que dans d’autres cas il est rapporté que cela allonge la durée de vie.
Et d’une façon générale tailler fragilise l’arbre, et ce d’autant plus que les plaies de taille sont grandes.
Si les platanes sont maintenant épargnés de la taille en trogne, elle est quasi systématique sur les très répandus mûriers à feuille de platane ou encore les sophoras, et fréquente sur les acacias.
Pour le cas des mûriers, la tradition est venue du fait que c’étaient des « arbres fourragers » dont on prélevait les branches avec leurs feuilles pour nourrir les vers à soie. Pour les mûriers à feuilles de platane qui ont pris la succession dans notre région, la raison de leur taille annuelle est étrangement à l’inverse de la production fourragère, puisqu’il s’agit de limiter leur production de fruits ! Ces derniers s’avèrent par trop salissants, surtout quand ils tombent sur du goudron ou pire, sur une voiture. Ainsi les mûriers platane d’ornement sont désormais stériles depuis au moins deux décennies, ce qui rend inutile cette astreinte de taille annuelle. Il n’y a donc plus aucune raison de faire perdurer cette taille contraignante et disgracieuse !
Pour en revenir à nos platanes, nous avons donc découvert que Lattes était riche d’un généreux patrimoine de platanes anciens, ainsi que la raison d’une telle richesse. Restait à savoir plus précisément quel était l’âge de nos vétérans, en l’absence d’état civil des arbres.
Un précieux indice nous a été donné par une carte postale dont la photo mentionnait une date et laissait deviner un arbre.
On retrouve notre arbre, désormais bien plus gros, en se plaçant dans le même angle de vue. Il est situé entre la mairie et bien sûr l’église. Cet arbre à l’époque de la photo peut être estimé à 20 ou 30 ans d’âge. Il se distingue aussi sur la photo aérienne ancienne, prise un an plus tard, ce qui lui a permis de se refaire entre temps quelques branches.
Presque un siècle plus tard, il peut donc être daté avec une bonne précision à 120 ans, et il affiche un tour de tronc de 3,20 m.
À partir de là, on peut se hasarder à des extrapolations pour estimer l’âge de ses voisins, selon les diamètres de tronc. Cela reste un exercice qui donne une précision aléatoire ; en revanche, le fait que le sol lattois soit une plaine alluviale laisse supposer qu’il est bien homogène, c’est à dire identique pour tout le monde, et cela permet d’espérer des estimations pas trop fantaisistes. Ce qui se confirme par le fait que les platanes qui ne sont pas repérables sur la photo, donc moins que centenaires, ne dépassent pas les 3,20 m de circonférence de tronc.
Alors allons-y : le champion au jeu du gros tronc est non loin de la mairie, sur le site des services techniques, avec ses 4,60 m. Mine de rien, c’est le double du volume de notre référence : cela a dû lui prendre le double de temps pour arriver à cette performance, soit 240 ans… Il serait né aux alentours de 1780 et a donc pu connaître la révolution française ! Pour prendre la mesure de ce temps, on peut aussi compter les générations de nos aïeux qu’il a vu naître : à 25 ans par génération, il en aurait vu naître 10, soit nos arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-grands parents ! Non, l’échelle de temps des arbres n’a rien a voir avec celle de l’espèce humaine !
Dans la foulée, vient celui du monument aux morts, qui pointe à 4,20 m de circonférence. Toujours selon le même calcul garanti non-scientifique, il peut être estimé à 200 ans d’âge. Cet arbre se retrouve aussi sur une ancienne photo, qui nous rappelle qu’il y avait une voie ferrée entre Montpellier et la mer surnommée « le petit train de Palavas », et qu’il y avait une gare à Lattes située à l’actuel emplacement du rond point… de la gare ! Un tronçon de rail originel reste incorporé au goudron sur le parking du monument aux morts. Quant au reste de la voie ferrée il est désormais devenu une très agréable voie cyclable de Lattes à la mer.
Les autres ancêtres vénérables se retrouvent çà et là, à vous d’avoir l’œil de les repérer ! Pour vous re-donner les indices, ils sont surtout près de la mairie, près du théâtre Jacques Cœur, en alignement sur l’allée de Saint-Sauveur (près de Fangouse) et au Mas Saint-Pierre (entre Lattes et Maurin).
Puissent ces arbres embellir vos promenades !
Texte et photographies : Philippe Crassous